A l’instar du nom du territoire de Plouguer qui, littéralement,
encerclait Carhaix, son doublet, plebs
Chaer, – lequel désignait
au IXe siècle l’entité géographique dont Locmariaquer constitue tout
à la fois le principal démembrement et le véritable prolongement –, doit
s’interpréter comme la « paroisse (plou,
plebs) de la caer », soit camp [militaire] (castra), soit lieu fortifié (castrum).
Dans ces deux localités, on le sait, de nombreux vestiges antiques parsèment
les finages communaux : au demeurant, l’identification de Carhaix avec Vorgium, capitale des Osismii,
jadis discutée, ne semble désormais plus faire de doute et, si l’hypothèse que
la capitale des Veneti, Darioritum, plutôt qu’à Vannes, devait être
fixée au bourg actuel de Locmariaquer, a fait long feu, l’importance de ce
dernier site dans la géographie locale a été souvent soulignée par les
historiens et les archéologues ; d’autant que l’occupation humaine plonge ici
ses racines plus profondément que l’époque gallo-romaine, ou gauloise, jusqu’aux
temps préhistoriques, avec, là encore, la présence d’impressionnants vestiges,
dont deux apparaissent véritablement emblématiques : la célébrissime Table
des Marchand(s) et le fameux Grand Menhir Brisé (majuscules de rigueur !)
Reste
posée la question de savoir quelles étaient les caer dont le nom de Plouguer et celui de plebs Chaer ont fixé et transmis le souvenir.
*
Contrairement à ce qui est dit parfois, le toponyme Carhaix n’a pas été formé avec ce terme vieux-breton, mais,
comme l’avait montré le regretté Bernard Tanguy, avec un dérivé du bas-latin carruvium, qui désigne le
carrefour : toponyme éminemment descriptif, quand on connaît la situation
de Carhaix au cœur d’un important réseau de voies romaines. En outre, le site
de la ville gallo-romaine de Vorgium
ne semble pas avoir été fortifié : c’est donc bien dans sa périphérie
immédiate qu’il faut chercher la caer
en question, dont l’importance était sans doute, en l’occurrence, plus
symbolique que matérielle. Parmi la trentaine de toponymes en ker de l’actuelle commune de
Carhaix-Plouguer, – dont la majeure partie paraît de formation assez récente
comme l’a souligné Régis Le Gall-Tanguy –, augmentés de ceux de Treffrin,– au
nombre de huit –, Kerléon
(déjà mentionné en 1468 puis à nouveau en 1536 avec la même orthographe) retient
immédiatement notre attention, car il pourrait s’agir du lointain héritier de
quelque castra legionis, à l’instar
de Caerleon au pays de Galles ; d’autant que, comme l’a rappelé Patrick
Kernévez, Paul du Châtellier signalait en 1907 la présence « d’une butte
artificielle de 11 mètres de diamètre, sur 2 m 50 de hauteur au sud de Carhaix
et à 400 mètres à l’est de Kerléon, dans une prairie sur le bord de la route de
Motreff ».
Nous reviendrons à l’occasion sur ces Kerléon bretons, moins
nombreux qu’il n’y paraît à première vue, car plusieurs d’entre eux doivent
être, pour des raisons diverses, retirés de la nomenclature qui en a été
dressée.
*
La centaine de toponymes en ker- des trois territoires communaux de Locmariaquer, Crac’h et
Saint-Philibert, qui constituent les démembrements de l’ancienne plebs Chaer, bien que son dépouillement
se révèle un exercice plus fastidieux que pour Carhaix-Plouguer et Treffrin,
ne doit pas décourager notre
recherche, car elle offre un plus grand éventail de possibilités ; mais,
là encore, l’immense majorité des toponymes concernés apparait de formation
récente. Cependant, Kerguérec,
en Locmariaquer, formé avec le nom d’homme Guérec qui constitue la forme
moderne de Gueroc (XIe
siècle), lui-même issu de Waroch (VIe
siècle), a particulièrement retenu notre attention, car ce toponyme s’avère des
plus rares, n’étant connu par ailleurs, en l’état actuel de nos investigations,
qu’à Lambézellec (Brest).
Grégoire de Tours nous a transmis un certain nombre de
renseignements sur son contemporain, le Breton Waroch : nous ne
retiendrons ici que ce qui concerne Vannes du temps où ce personnage dominait
la contrée autant, sinon plus, par ses succès militaires et diplomatiques à
l’encontre des Francs, que par le gouvernement de la cité dont il avait été
investi en 578 par Chilpéric. Pendant cette période, Vannes eut à sa tête
successivement deux évêques, Eunius
et Regalis : leurs noms
désignent ces prélats comme des Gallo-romains. On voit Eunius prêter une
oreille aux récriminations de Waroch et, les ayant portées à Chilpéric, s’en
trouver puni par ce dernier, qui l’exile d’abord loin de son siège, puis le
rapproche à Angers, mais sans espoir de retour à Vannes. Regalis, sans doute
instruit par cet exemple, se déclare pour sa part « captif des Bretons »,
ainsi que son clergé et les habitants de sa ville épiscopale, dont le statut
pourrait ainsi s’apparenter à celui de Berlin-Ouest à l’époque du Mur : situation
qui a pu se prolonger au-delà de la date de la disparition du chroniqueur (594),
puisque ce dernier n’a pas noté la mort du prince, ni celle de l’évêque ;
soit au total, une vingtaine d’années. Cette lecture nous permet de supposer
que Waroch devait résider en dehors de Vannes, mais à proximité de la ville
épiscopale, en un lieu dont le toponyme Kerguérec aurait ainsi conservé le
souvenir : la proximité du personnage avec la mer et avec les îles du
Golfe du Morbihan, dont la péninsule de Locmariaquer assure parfaitement
l’interface, est en tout cas confirmée par le témoignage de Grégoire de Tours
qui, à propos de l’expédition d’Ebrachaire dans le Vannetais, rapporte
« que Waroch désireux de s’enfuir dans les îles avec des navires chargés
d’or, d’argent et de ses autres biens, avait gagné la haute mer ; mais que, le vent s’étant levé et ses navires
ayant coulé, il avait perdu tous les biens qu’il avait embarqués » (quod Warochus in insulas fugere cupiens cum
navibus oneratis auro argentoque et reliquis rebus ejus, cum alta maris
cepisset, commoto vento, demersis navibus, res quas imposuerat perdidisset).
Naturellement, notre hypothèse, à défaut d'une confirmation, se trouverait affermie par la
découverte de formes anciennes du toponyme Kerguérec, qui s'accorderaient avec
l’étymologie proposée.
André-Yves Bourgès
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