Il n’y aurait pas lieu de
revenir sur ce sujet s’il ne faisait régulièrement, – véritable serpent de mer –,
l’objet d’apparitions, y compris sous la plume des meilleurs auteurs, comme
dans le cas du regretté Jean-Christophe Cassard qui écrivait naguère à
propos de la territorialisation diocésaine de Dol :
« On peut donc raisonnablement penser
que la création d'un évêché territorial de plein exercice est effective ici
pendant le règne du fils de Charlemagne, dans la foulée de ses réformes
ecclésiastiques, à moins qu'elle n'intervienne un peu plus tôt à l'occasion du
premier synode des prélats bretons réuni à Alet en 788 et dont les canons sont malheureusement
perdus » (1).
Si
la tenue de ce synode était avérée, l’histoire de l’Église bretonne aux temps
carolingiens s’en trouverait grandement éclairée, même en l’absence du texte de
ses canons ; mais il existe malheureusement de nombreuses raisons de
douter de sa réalité. Au demeurant, cette tradition est ignorée de la plupart
des auteurs : cela n’est pas étonnant s’agissant de Mgr Louis Duchesne et
de l’abbé François Duine qui, l’eussent-ils connue, l’auraient impitoyablement écartée
de leur propos ; mais des écrivains moins sévères que ces derniers, comme le
chanoine Amédée Guillotin de Corson ou Arthur de la Borderie n’en disent rien également
et, chez les auteurs plus anciens ayant parlé d’Alet, Jacques Doremet par
exemple, pourtant ouvert à l’esprit de fable, il n’en est pas question non
plus. Les travaux récents de Joseph-Claude Poulin sur les origines du diocèse
d’Alet et le dossier hagiographique de Malo, ainsi que la thèse d’Anne Lunven, sur
les évêchés de Rennes, Dol et Alet/Saint-Malo, qui constitue le dernier status quaestionis, n’y font aucune
allusion.
*
L’existence
en 788 de l’évêché d’Alet n’est confirmée par aucune source ; le nom même
du prélat qui, le cas échéant, aurait occupé le siège épiscopal, n’a pas été
conservé. Le contexte, certes, peut apparaitre propice à une érection
contemporaine : les Bretons en effet avaient été vaincus en 786 par
l’armée que Charlemagne avait placée sous le commandement du sénéchal
Audulf ; mais il s’agissait avant tout d’exiger d’eux le paiement du
tribut et il ne semble pas avoir été question à cette époque d’une véritable normalisation
de l’organisation ecclésiastique, en particulier diocésaine, dont nous ignorons
d’ailleurs presque tout, au premier chef les noms des évêques. Cette
normalisation, qui concerne les évêchés
de Dol, Alet, Léon et Cornouaille, interviendra plus tard, sous le règne de
Louis le Pieux : on en perçoit le souvenir plus ou moins marqué à la lecture des
vitae carolingiennes de Samson, Malo,
Paul Aurélien et Guénolé.
L’attestation
la plus ancienne de ce supposé synode d’Alet figure, à notre connaissance, dans
une note de l’ouvrage de Jules Geslin de Bourgogne et Anatole de Barthélemy sur
les Anciens évêchés de Bretagne, dont
les six volumes parus concernent presqu’exclusivement l’évêché de
Saint-Brieuc :
« Nous ne savons rien du synode tenu à
Alet, le 3 des calendes d’octobre 788 »(2).
La
précision de la date est étonnante et incline à penser que nous ne sommes pas
en face d’une pure invention de ces auteurs, érudits estimables dont les
travaux sont encore consultés pour leur sérieux. Un synode s’est en effet tenu
le 29 septembre 788 in loco qui
dicitur Aclech ; mais cette mention annalistique, qui figure dans l’histoire
du monastère de Hexham composée vers 1140 par le prieur du lieu, Richard (3),
concerne en fait Aycliffe, comté de Durham, en Grande-Bretagne, où les archevêques
de Canterbury ont présidé des synodes aux années 782, 787, 788, 789, 805, 816
et 824 (4) :
comme on peut à la rigueur confondre la variante Acleth, rapportée notamment par Henry Spelman (5),
avec Aleth, forme qui figure souvent
en lieu et place d’Alet, il s’agit là probablement de l’origine de l’erreur de
Geslin de Bourgogne et Barthélemy.
André-Yves Bourgès
1. J.-C. Cassard, « L'Église dans le siècle », Les
Bretons de Nominoë, Brasparts, 1990, p. 203-204.
2. J. Geslin de
Bourgogne et A. de Barthélemy, Anciens
évêchés de Bretagne, t. 3, Paris-Saint-Brieuc, 1864, p. xvii, n. 1.
3. James Raine (ed.), The Priory of Hexham, its Chroniclers,
Endowments and Annals, volume 1, Durham, 1834 (Surtees Society, 44), p. 38,
chap. 17.
4. Pour plusieurs
d’entre elles, la localisation de ces assemblées est discutée : il est
possible que celles des années 787, 805, 816 et 824 se soient plutôt tenues à
Ockley, dans le Surrey.
5. H. Spelman, Concilia, Decreta, Leges, Constitutiones, in
Re Ecclesiarum Orbis Britannici, t. 1, Londres, 1639, p. 305.
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