vendredi 13 juillet 2018

A propos de la "terre de Rivelen"

En préparation d’un futur article sur les termes de Poher et de Cornouaille aux IXe et Xe siècle, nous avons travaillé sur un sujet connexe que nous n’avons finalement pas retenu dans l’édition finale. Merci à André-Yves Bourgès d'accueillir, pour la seconde fois sur l'un de ses blogs, la publication de cette courte notule.

Voici tout d’abord les quelques rares mentions que nous avons pu collecter sur la « terre de Rivelen » :
    Acte de 1281 : Guillermus de Rusquec, armiger, senescallus tunc temporis domini Hervei de Leonia, domini Castri Novi, militis, apud Leoniam et terram Rivelen [1] ;
    Acte du 12 octobre 1375 [2] : taillifs et sers a la condition de la vicomté de Leon et la terre Rivelen en Cornouaille, quels par usement et le gouvernement ancien d’iceux terrouers ne povaient nullement desavouer lourdit seigneur ne eux franchir, fors par eux faire bannir au convenant franc au duc, par einxin que ceux de Leon devoient demourer et faire lour residence jour et an sans partir du chastel de Lesneven, et ceux de Cornouaille a Chasteaulin en Cornouaille semblablement ;
    Une enquête du 04 août 1410 au 28 janvier 1411 sur les droits des vicomtes de Rohan [3] : le seigneur de Leon a plusieurs hommes taillifs à motte selon la coutume & condition de Rivelen en ses terres de Leon & de Cornouaille […] le dit vicomte & ses sugets ont plusieurs terres ès paroisses de Crauzon, de Camaret, de Rozcamvel, de Telgruc, de Saint Vic [Saint-Mic], de Ploemodiern & de Ploeven , & que les dites terres sont & appartiennent au dit Seigneur à cause de sa baronie de Leon & sont nommées la terre à la condition de Rivelen, & qu’en icelles paroisses le dit Seigneur & ses sugets ont plusieurs hommes taillifs astraints à motte selon la condition d’icelle terre de Rivelen ;
    Buez santez Nonn qui donne pour la sépulture de cette dernière Dirinon, dans « fort bien administrée terre de Rivelen » (douar Riuelen[4]. Ce mystère breton a été écrit au xvie siècle en se basant sur la vie latine galloise de saint Divi écrite à la fin du xie siècle [5]. Cette source est postérieure aux précédents, mais elle a le mérite de donner une paroisse (Dirinon) en dehors des terres de Crozon et Porzay où la coutume et condition de Rivelen s’appliquait au xvie siècle.

Que peuvent nous indiquer ces quelques sources ? En 1281 et 1375, il y a une nette différentiation faite entre le Léon et la terre de Rivelen. En 1375, Lesneven et Châteaulin, terres ducales, étaient les lieux où les serfs soumis à la condition de la vicomté de Léon et la terre de Rivelen pouvaient s’affranchir s’ils y passaient au moins un an et un jour. Jusqu’à cette dernière date, la terre de Rivelen englobait les fiefs de la branche cadette des vicomtes de Léon situés dans la presqu’île de Crozon et dans le Porzay. Plus tard, en 1410-1 et au xvie siècle, la coutume et condition de Rivelen s’appliqua à certaines des terres détenues par les Rohan, héritiers des sires de Léon, dans leurs fiefs situés dans l’évêché de Cornouaille : châtellenies de Daoulas, de Crozon et de Porzay.
Qui est le Rivelen qui a donné son nom à cette terre ? En fonction de nos sources très lacunaires, il n’y a que deux candidats. Le comte de Cornouaille Rivelen de la fin du ixe siècle ou bien le père d’Onven, femme de l’évêque de Cornouaille Orscand qui vivait à la fin du xiie siècle [6]. Comme l’a relevé Joëlle Quaghebeur, la famille de Rivelen, dit de Crozon, « n’apparaît jamais comme bienfaitrice dans les actes de donation dont bénéficièrent les sanctuaires cornouaillais, ce qui mérite d’être souligné [7]. »
Les conditions de tenure de cette terre font clairement référence au servage, c’est pourquoi nous sommes enclins à préférer le comte Rivelen. Le maintien de serfs sur des mottes ne ferait-il pas référence à une réorganisation militaire orchestrée par Rivelen pour la défense contre les Vikings de la presqu’île de Crozon et de ses ports qui ont donnés son nom au Porzay [8] ? Tanguy a émis l’hypothèse que le pagus Porzoed incluait initialement la presqu’île de Crozon [9]. Or nous avons ici la preuve que la  coutume et condition de Rivelen s’appliquait initialement sur ces deux territoires.

Bertrand Yeurc’h



[1]Arch. mun. Landerneau cité in Patrick Kernévez, Vicomtes et seigneurs de Léon du xie au début du xvie siècle, Brest, 2011, p. 241, n. 242.
[2]DL, t. 2, col. 1640 ; DM, t. 2, col. 99-100 ; Michael Jones, Letters, Orders and Musters of Bertrand du Guesclin 1357-1380, Woodbridge, 2004, no 669, p. 250-1.
[3]DM, t. 2, col. 849-53.
[4]Yves Le Berre, Bernard Tanguy & Yves-Pascal Castel, Buez santez Nonn : Mystère breton : Vie de sainte Nonne, Minihi-Lévénez, 1999, p. 172, v. 1506.
[5]Bernard Tanguy, « Les cultes de saintes Nonne et de saint Divi en Bretagne », Buez santez Nonn : Mystère breton : Vie de sainte Nonne, Yves Le Berre, Bernard Tanguy & Yves-Pascal Castel, Minihi-Lévénez, 1999, p. 10-31 (p. 12).
[6]Valérie Roudaut-Adam, Réédition des cartulaires de l’église cathédrale Saint-Corentin de Quimper, Brest, 1996, no 1 & 4 ; Judith Everard & Michael Jones, The Charters of Duchess Constance of Brittany and her Family, 1171-1221, 1999, C28, p. 60.
[7]Joëlle Quaghebeur, La Cornouaille du ixe au xiie siècle : Mémoire, pouvoirs, noblesse, Quimper, 2001, p. 49.
[8]Bernard Tanguy, « Les pagi bretons médiévaux », Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, t. 130, 2001, p. 371-96 (p. 389).
[9]Bernard Tanguy, « Les pagi bretons médiévaux », Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, t. 130, 2001, p. 371-96 (p. 390).

Aucun commentaire: