Citant comme notre source un passage de l’article consacré
par Léopold Delisle à un « Nouveau témoignage relatif à la mission de
Jeanne d'Arc »[1], nous
avons naguère indiqué que « le dominicain Jean de Colonne, auteur de la
compilation intitulée Mare Historiarum »
était « vraisemblablement originaire de Chartres », où « son
oncle Landolfe, historien lui aussi », était membre du chapitre
cathédral[2] :
il s’agit moins là d’une erreur que d’une faute, qu’il convient de réparer sans
chercher à la dissimuler.
En effet, notre propos de l’époque témoigne de la lecture
trop hâtive d’un passage de l’article concerné[3] :
nous aurions dû nous apercevoir que Delisle avait utilisé la forme
traditionnelle, francisée, du patronyme porté par ces deux personnages, qui sont
en fait des Colonna, bien connus non seulement pour leur appartenance à la
grande famille romaine de ce nom, mais surtout pour leurs relations amicales
avec Pétrarque. Ainsi, pas
plus que dans le cas de son neveu Giovanni, la prébende chartraine de Landolfo
Colonna n’implique que ce dernier avait
originellement des attaches sur place, même si d’autres membres de cette
famille avaient compté au nombre des membres du chapitre local. En revanche, il
est établi que Landolfo a résidé durablement à Chartres[4]
et tout aussi assuré que Giovanni, outre cette dernière ville, a séjourné à
Troyes puis à Amiens[5].
Ce qui caractérise nos deux personnages, c’est leur intérêt passionné
à l’égard des « sources » (manuscrits anciens des œuvres de
l’Antiquité), démarche que l’on a pu qualifier sans exagération de pré-humaniste
et dans laquelle ils ont précédé leur compatriote et ami Pétrarque, en
particulier pour ce qui concerne l’œuvre de Tite Live : à Chartres,
Landolfo Colonna, en examinant les manuscrits conservés dans la riche bibliothèque
capitulaire, a pu ainsi exhumer celui, aujourd’hui perdu, qui contenait les IIIe
et IVe Décades, dont il fit faire une copie (actuel ms Paris, BnF,
lat. 5690)[6]. S’agissant
de Troyes et d’Amiens, c’est peut-être également le sens qu’il convient de
donner à l’activité de Giovanni telle qu’elle est décrite par son oncle, car
les bibliothèques des différentes églises locales recelaient elles aussi bien
des trésors de la littérature antique : en effet, comme l’a montré P.
Stirnemann, une mention un peu énigmatique de l’inventaire des livres de
Saint-Etienne de Troyes dressé en 1319[7]
doit désigner là encore un manuscrit de l’oeuvre de Tite Live, que cette
chercheuse attribue à la bibliothèque du comte Henri le Libéral et qu’elle
identifie de manière très convaincante avec l’actuel ms Paris, BnF,
lat. 5732[8].
Notre référence à Landolfe
et Jean de Colonne était donc de nature à dissimuler, involontairement bien sûr, deux
personnages dont le rôle durant le premier humanisme s’avère notablement plus
important que ce que le laconisme de cette mention pouvait laisser penser et
qui mériteraient une étude à part entière.
André-Yves Bourgès ©2014
Addition du 21 juillet 2015
Sur Giovanni Colonna et son oncle Landolfo, consulter les travaux de Rino Monodutti :
- Fra Giovanni Colonna e la storia antica da Adriano ai Severi, Padova, CLEUP, 2013
- Due domenicani di fronte alla storia: fra Giovanni Colonna e lo Speculum historiale di Vincenzo di Beauvais, in La compilación del saber en la Edad Media, edd. by M. J. Munoz, P. Cañizares Ferris, C. Martín, Porto, Brepols-F.I.D.E.M, p. 369-382
- La fortuna di un amico del Petrarca: la vita e le opere di fra Giovanni Colonna di Gallicano dal XV al XX secolo, in «Filologia e critica» 37 (2012), pp. 30-63
- Memorie e rovine di Roma imperiale nel Mare historiarum di fra Giovanni Colonna, in «Italia medioevale e umanistica», 52 (2011), pp. 27-70
Addition du 21 juillet 2015
Sur Giovanni Colonna et son oncle Landolfo, consulter les travaux de Rino Monodutti :
- Fra Giovanni Colonna e la storia antica da Adriano ai Severi, Padova, CLEUP, 2013
- Due domenicani di fronte alla storia: fra Giovanni Colonna e lo Speculum historiale di Vincenzo di Beauvais, in La compilación del saber en la Edad Media, edd. by M. J. Munoz, P. Cañizares Ferris, C. Martín, Porto, Brepols-F.I.D.E.M, p. 369-382
- La fortuna di un amico del Petrarca: la vita e le opere di fra Giovanni Colonna di Gallicano dal XV al XX secolo, in «Filologia e critica» 37 (2012), pp. 30-63
- Memorie e rovine di Roma imperiale nel Mare historiarum di fra Giovanni Colonna, in «Italia medioevale e umanistica», 52 (2011), pp. 27-70
[1]
L. Delisle, « Nouveau témoignage relatif à la mission de Jeanne
d'Arc », Bibliothèque de l'École des
chartes, t. 46 (1885), p. 649-668.
[2]
A.-Y. Bourgès, « La cour ducale de Bretagne et la légende arthurienne au
bas Moyen Âge. Prolégomènes à une édition critique des fragments du Livre des
faits d’Arthur », G. Buron, H. Bihan et B. Merdrignac [dir.], À travers les îles celtiques. A dreuz an
inizi keltiek per insulas scotticas. Mélanges en mémoire de Gwénaël Le Duc,
Landévennec-Brest, 2008 (Britannia monastica, 12), p. 118, n. 198.
[3] L. Delisle, « Nouveau témoignage… », p.
659.
[4]
C. Billot a donné le dernier état de la question dans son excellente synthèse « Landolfo
Colonna, chanoine de Chartres de 1290 à 1329 et le premier humanisme : essai
d'historiographie », J.R. Armogathe [dir.], Monde médiéval et société chartraine, Paris, 1997, p. 301-307.
[5] U. Balzani, « Landolfo e Giovanni
Colonna secondo un codice Bodleiano », Archivio della Società Romana di Storia patria, t. 8 (1885), p. 240 : Sed cum nunc te…Trecis nunc Ambianis…
studentem [ ?] fore conspicio.
Cette transcription a été complétée par G.
Billanovich, La tradizione del testo di Livio e le origini dell'umanesimo,
vol. 1: Tradizione e fortuna di Livio tra Medioevo e Umanesimo, Part. 1,
Padoue, 1981 (Studi sul Petrarca, 9), p. 140 : Sed cum nunc te Carnoti nunc Trecis nunc Ambianis… studentem fore conspicio.
[6]
F. Callu et F. Avril, Boccace en France :
de l'humanisme à l'érotisme [Catalogue de l’exposition, Paris, Bibliothèque
nationale, 9 octobre 1975-4 janvier 1976], Paris, 1975, p. 44, n° 76 ;
F. Avril, Y. Zaluska, M.-Th. Gousset et M. Pastoureau, Dix siècles d'enluminure italienne : VIe-XVIe
siècles [Catalogue de l’exposition, Paris, Bibliothèque nationale, 8 mars-30
mai 1984], Paris, 1984, p. 50, n° 39.
[7]
Ch. Lalore, Inventaires des principales
églises de Troyes, t. 2, Troyes, 1893, p. 270, n° 2288.
[8]
P. Stirnemann, « Reconstitution des bibliothèques en langue latine des
comtes de Champagne », Le Moyen Âge
à livres ouverts [Actes du colloque, Lyon 24-25 septembre 2002], Lyon, 2003,
p. 37-45.
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